Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Dans l'Obscur des forêts
Dans l'Obscur des forêts
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Newsletter
8 juin 2010

Le Baiser de la pieuvre

HOKUSAI

Dans son dernier roman, Patrick Grainville s’appuie sur la fameuse estampe de Hokusai, Le rêve de la femme du pêcheur. Cette étreinte fantastique d’une pieuvre et d’une femme offre à l’auteur des Flamboyants un motif hypnotique au sein duquel son écriture se nourrit jusqu’à la volupté.

Le décor est vite posé : une île dans l’océan Pacifique ; un village campé sur une fragile lagune que menace un volcan ; la forêt primitive ; un peuple mêlé de bêtes et d’hommes qui vivent ensemble, à peine libérés du giron des divinités anciennes ; il y a également, sous les traits du Solitaire, la présence de l’homme sauvage (celui qui dénoue les destins) ; Hô, moine bouddhiste peintre, géant sage et facétieux ; Allan, naturaliste pilleur et occidental cynique ; enfin Haruo, bel adolescent qui épie toutes les nuits la jeune veuve, Tô, dont il surprend l’étreinte avec l’animal marin. À moins qu’il ne la fantasme simplement, car cet amour monstrueux, qui ne jaillit jamais dans la crudité du jour et du réel, mais dans un temps dévoré par la nuit et le doute, appartient en réalité à l’exploration de la passion naissante du jeune homme pour la belle veuve. Il symbolise, d’une certaine manière, tout ce que la vénération du voyeur comporte d’inavouable.

C’est le peintre Hô, fin entremetteur, qui va favoriser leur union, en construisant lentement celle-ci sur le papier, avant qu’elle ne s’impose naturellement au jeune couple. Le peintre apprivoise ses modèles, organise l’approche lente presque végétale, des corps. Il plonge les amants virtuels dans un temps statique, celui de la pose, celui de la réserve où les êtres s’immobilisent, se figent, se lovent dans leur intériorité. Dans cette distance imposée, les regards d’Haruo et de Tô, comme ceux du peintre, sont des puits de patience, qui captent les accents de beauté les plus fragiles et les plus fugitifs des corps qui se font face. Grâce à cette forme d’éloignement, une proximité surnaturelle est instaurée, et les liens de la séduction s’étendent avec plus de vigueur. Puissantes comme les vrilles d’une hydre végétale, elles enlacent, s’entrelacent jusqu’à ce que les deux modèles fusionnent en un seul corps étrange et parfait. Un corps dont la beauté s’appartient à elle-même et qui n’a plus besoin du regard des autres pour aviver ses flux de vie et de désir. Là est la leçon d’Oryui, la pieuvre géante, qui incarne le désir envisagé dans sa croissance sans fin.

Une autre leçon consisterait à ne pas s’en tenir à une seule lecture, très partielle comme ici, mais au contraire de multiplier les regards sur ce roman foisonnant et magistral. Le Baiser de la pieuvre le vaut bien, qui est d’ailleurs l’un des rares livres à savoir entretenir sur quelque 250 pages, et dans le même feu vigoureux, une excitation intellectuelle et une excitation sensuelle.

Baiser_pieuvre

Le Baiser de la pieuvre
Patrick Grainville, Le Seuil, 2010

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité