Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Dans l'Obscur des forêts

Dans l'Obscur des forêts
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Newsletter
19 juin 2010

Le Corps de l'autre

Irrésistible fantasme que celui d’être aspiré par l’autre et de se retrouver, au soir de sa vie, dans un corps jeune,  parfaitement aiguisé et doté d’appétits tout neufs.

Seulement voilà cela ne se fait pas sans mal : c’est dans le corps de son meurtrier, un skinhead, que Vertumne, critique littéraire aigri et âgé, vit désormais. Cela arrive dit-on… On regarde son assassin dans les yeux et si ce regard a suffisamment de puissance, de magnétisme, l’âme, au moment de se décrocher, se réfugie dans le corps de l’autre.

Châteaureynaud, avec l’humour – mais peut-être pas toute la force imaginaire – qu’on lui connaît, tire la ficelle de cette drôle de pelote. Le personnage avance dans sa nouvelle vie, comme un spectre hantant un corps qu’il doit apprendre à accepter, à bord d’une vie qu’il juge trop étroite. Pensez donc !, lui qui toute sa carrière a été craint et s’est repu d’idées élevées, se retrouver dans la peau d’un skinhead qui n’a d’autre choix que de s’enfermer dans l’horizon rabougri de la fuite... Entre nausée de la vie, incommunicabilité entre les êtres, menace de la folie, Vertumne progresse à tâtons, se faufilant entre les mystères infrangibles de l’existence, luttant contre la solitude. En fin de récit, le voilà gagnant les rives d’une forme de sagesse bien inattendue pour son conformisme. Et pour ne pas trahir la fin, quitte à rester un peu brumeux, on dira que Vertumne prend de façon différente la mesure du corps de l’autre. Ultime refuge.

Dans ce nouveau texte, on ne retrouve pas l’imaginaire débridé du roman précédent, si inventif et si passionnant (l’une de mes plus belles lectures de ces dernières années). De L’autre rive au Corps de l’autre, on a l’impression que l’objet de l’étude s’est assez tragiquement réduit…

Le corps de l’autre, Georges-Olivier Châteaureynaud, Grasset, 2010.

À lire également,

L’autre rive, Grasset, 2007

Le Château de verre, Julliard, 1994.

Corps_de_lautre

Publicité
Publicité
8 juin 2010

Le Baiser de la pieuvre

HOKUSAI

Dans son dernier roman, Patrick Grainville s’appuie sur la fameuse estampe de Hokusai, Le rêve de la femme du pêcheur. Cette étreinte fantastique d’une pieuvre et d’une femme offre à l’auteur des Flamboyants un motif hypnotique au sein duquel son écriture se nourrit jusqu’à la volupté.

Le décor est vite posé : une île dans l’océan Pacifique ; un village campé sur une fragile lagune que menace un volcan ; la forêt primitive ; un peuple mêlé de bêtes et d’hommes qui vivent ensemble, à peine libérés du giron des divinités anciennes ; il y a également, sous les traits du Solitaire, la présence de l’homme sauvage (celui qui dénoue les destins) ; Hô, moine bouddhiste peintre, géant sage et facétieux ; Allan, naturaliste pilleur et occidental cynique ; enfin Haruo, bel adolescent qui épie toutes les nuits la jeune veuve, Tô, dont il surprend l’étreinte avec l’animal marin. À moins qu’il ne la fantasme simplement, car cet amour monstrueux, qui ne jaillit jamais dans la crudité du jour et du réel, mais dans un temps dévoré par la nuit et le doute, appartient en réalité à l’exploration de la passion naissante du jeune homme pour la belle veuve. Il symbolise, d’une certaine manière, tout ce que la vénération du voyeur comporte d’inavouable.

C’est le peintre Hô, fin entremetteur, qui va favoriser leur union, en construisant lentement celle-ci sur le papier, avant qu’elle ne s’impose naturellement au jeune couple. Le peintre apprivoise ses modèles, organise l’approche lente presque végétale, des corps. Il plonge les amants virtuels dans un temps statique, celui de la pose, celui de la réserve où les êtres s’immobilisent, se figent, se lovent dans leur intériorité. Dans cette distance imposée, les regards d’Haruo et de Tô, comme ceux du peintre, sont des puits de patience, qui captent les accents de beauté les plus fragiles et les plus fugitifs des corps qui se font face. Grâce à cette forme d’éloignement, une proximité surnaturelle est instaurée, et les liens de la séduction s’étendent avec plus de vigueur. Puissantes comme les vrilles d’une hydre végétale, elles enlacent, s’entrelacent jusqu’à ce que les deux modèles fusionnent en un seul corps étrange et parfait. Un corps dont la beauté s’appartient à elle-même et qui n’a plus besoin du regard des autres pour aviver ses flux de vie et de désir. Là est la leçon d’Oryui, la pieuvre géante, qui incarne le désir envisagé dans sa croissance sans fin.

Une autre leçon consisterait à ne pas s’en tenir à une seule lecture, très partielle comme ici, mais au contraire de multiplier les regards sur ce roman foisonnant et magistral. Le Baiser de la pieuvre le vaut bien, qui est d’ailleurs l’un des rares livres à savoir entretenir sur quelque 250 pages, et dans le même feu vigoureux, une excitation intellectuelle et une excitation sensuelle.

Baiser_pieuvre

Le Baiser de la pieuvre
Patrick Grainville, Le Seuil, 2010

7 juin 2010

Fleurs de tempête

« C’est une activité curieuse que celle à laquelle je me livre, je reviens au nimbe des commencements, comme un archiviste halluciné et maniaque, un adorateur nocturne qui voudrait capter dans les ténèbres de son chagrin l’éclat de la lumière des débuts et des seuils. L’histoire est passée, éblouissante, implacable, tragique et elle me laisse seul sur la rive. Moi à qui la littérature a tant donné il ne me reste que le secours des mots. Me revient-il de donner à Hélène le tombeau qu’elle n’a pas souhaité avoir ? Elle ne repose pas auprès de son grand-père, qu’elle admirait tant, dans le petit cimetière de Logonna-Daoulas. Elle a voulu cette incinération, ce néant des flammes qui m’effraie plus que tout. Tombeau : c’est une forme, c’est un chant dont j’aimerais qu’il n’eût pas la froideur mallarméenne. Je rêverais plutôt pour elle d’un lit de lumière, d’une nef enchantée qui l’emmène loin, dans la tradition ophélienne des dérives celtiques.»

§

Je suis assez impersonnel pour ne pas m'accorder les premiers mots de ce blog, et plutôt choisir de m'effacer derrière ces quelques lignes qui résument l'avant-dernier texte de Philippe Le Guillou, Fleurs de tempête. Comment en effet ne pas mettre tout devant ce que l'on désire partager...

Il n'est pas difficile de résumer l'histoire d'un livre, mais rien ne peut mieux parler d'une écriture que l'écriture elle-même.  Et lorsqu'on lit ce qui précède, saisi par la texture des phrases, par le rythme des sonorités, et par cette sorte de ferveur qui traverse chaque ligne, je n'imagine pas que l'on puisse échapper au livre, à sa lecture, à son infini magnétisme. Au-delà des premiers mots qui guident notre entrée dans le texte - ceux de la quatrième de couverture -, au-delà les promesses d'une écriture, et bien au-delà du caractère émouvant de ce témoignage hanté par la maladie et la mort, Fleurs de tempête est un texte qui nous touche plus que tout autre, car il aborde avec sincérité et générosité d’âme les rives les plus précieuses de notre vie intérieure : celles qui portent les empreintes de l’amitié, de l’amour, auxquels il donne un hommage touchant et un linceul lumineux. Il y a dans ce livre, plus que la seule compagnie d'un beau texte, il y a toute la force vivante de l'être disparu que l'écrivain ramène d'entre les ombres.

Fleurs_de_temp_te

Fleurs de tempête, Philippe Le Guillou, Gallimard.

Publicité
Publicité
Publicité